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Entretien avec Matthieu Faury

Photo du rédacteur: Gaultier BoivineauGaultier Boivineau

     Matthieu Faury est un artiste habitué des sites patrimoniaux. Après le site archéologique de Glanum, le Pont du Gard et l’hôtel de Sade, ce fût au tour du château de Tarascon de se voir investir de ses sculptures animalières ou architecturales, conjuguant librement l’Histoire, la philosophie du conte et une certaine dose de dérision. Matthieu Faury a accepté de me rencontrer pour me détailler sa contribution aux expositions Bêtes, monstres et bestioles et Si les châteaux m’étaient contés, respectivement présentées en 2012 et 2015 dans la vénérable demeure du roi René d’Anjou.




G.B. : Pourriez-vous me présenter votre travail en quelques mots ?


M.F. : J’ai un travail essentiellement de sculpture, qui part la plupart du temps du modelage. Les seules exceptions étant lorsque je commence par un moulage. Je m’inspire toujours de la réalité, tout en la déformant : je fais donc une sculpture figurative, mais non réaliste. À partir de ces modelages, j’entame des étapes de transformation. Souvent, je scanne ce que je fais puis je l’agrandis, et je passe très souvent d’une matière à une autre de façon très libre. Mes œuvres peuvent ainsi être en pierre, en bronze, en marbre, en résine... J’utilise parfois même plusieurs techniques dans la même sculpture. En ce qui concerne le sujet, je m’intéresse à tout ce qui touche à la représentation de figures humaines ou animales, ainsi qu’à l’architecture, dans une moindre mesure. Mes œuvres ont pour vocation d’étonner, de faire sourire, de rendre triste, de provoquer la réflexion, de raconter des histoires.



G.B. : J’ai constaté que vous aviez montré vos œuvres à de multiples reprises dans des sites patrimoniaux. Quel intérêt trouvez-vous à exposer dans ces lieux ?

M.F. : Duchamp disait que l’art est un jeu entre des personnes d’époques différentes. Je partage tout à fait ce point de vue. Au château de Tarascon, par exemple, j’ai échangé, dialogué, avec les artistes y ayant travaillé, tels que Barthélemy d’Eyck. Je dirais que la notion d’historicité a tendance à devenir secondaire lorsque l’on intervient dans un tel lieu. On y est rapidement comme chez soi. Une fois que les clefs du site vous sont remises, vous avez un terrain de jeu extraordinaire pour concrétiser vos fantasmes. C’est pour moi le principal intérêt de ce type d’expérience. Au château de Tarascon, j’ai cherché à créer au travers de mon installation une sorte de tissage entre les choses et les époques. Ceci s’est matérialisé par des éléments très disparates : un conte médiéval (le Mortifiement de vaine plaisance, fable morale écrite par René d’Anjou), un conte oriental (Le singe pèlerin), le lieu lui-même, les spectateurs qui traversaient l’exposition... Ce type d’expérience permet de créer quelque chose de beaucoup plus complexe que dans une exposition traditionnelle, et d’entrer en dialogue avec des figures, des lieux ou des personnages ayant une stature importante. Quelque chose de nouveau et d’inattendu se joue. Je pense qu’en tant qu’artistes français travaillant en France, nous sommes nourris depuis l’enfance de l’Histoire et de l’histoire de l’art de notre pays. C’est presque dans notre ADN d’artistes français d’avoir envie de dialoguer avec tout cela et de voir comment nous pouvons nous-mêmes y apporter quelque chose de neuf et d’original. Nous avons une relation particulière au patrimoine, liée à son omniprésence sur le territoire. Dans un autre pays, cela pourrait peut-être se révéler bien moins fort.


Je dirais que la notion d’historicité a tendance à devenir secondaire lorsque l’on intervient dans un monument. Une fois que les clefs du site vous sont remises, vous avez un terrain de jeu extraordinaire pour concrétiser vos fantasmes.


G.B. : Vous avez exposé à deux reprises au château de Tarascon : d’abord en 2012, pour l’exposition collective Bêtes, monstres et bestioles, puis en 2015, à l’occasion de Si les châteaux m’étaient contés. Pourriez-vous me décrire votre rôle au sein de ces deux projets ?


M.F. : L’exposition Bêtes, montres et bestioles de 2012 rassemblait une dizaine d’artistes, parmi lesquels beaucoup de sculpteurs, dont les œuvres dialoguaient avec tous les éléments animaliers présents dans le château. Concernant mon implication dans ce projet, on m’avait demandé d’exposer des singes, qui constituent l’un de mes thèmes de prédilection. C’est l’animal le plus proche de l’homme, et c’est pourquoi je considère que lorsque l’on représente un singe, c'est en fait à l’homme que l’on fait référence, sous d’autres traits. On m’a donc proposé d’exposer dans la chambre du roi René, et j’y ai installé des œuvres mettant en scène un conseil royal. Un singe représentait le roi, et les autres ses sujets. Une autre sculpture intitulée La danse du château figurait le château lui-même. Il n’y avait pas de singes dans le décor du château. Toutefois, je pense que c’est un point important lorsque l’on fait appel à des artistes contemporains que de leur accorder carte blanche. En étant trop exigeant sur la pertinence ou la rigueur historique, on risque de passer à côté de ce qui est vraiment important... Sans liberté, il n’y a pas d’art. Il est parfois important de manquer de rigueur, d’être irrationnel, instinctif. Cela me semblait toutefois logique de me raccrocher à l’histoire du château en représentant un conseil. Je pense que même lorsque l’on fait des choses très décalées, on essaye de rester connecté d’une façon ou d’une autre. L’une des œuvres exposées ici représentait le château de Tarascon frappé par la « singite », un néologisme que j’ai moi-même inventé pour décrire une sorte d’état de transe lié à la présence d’un singe ou au fait d’être ou de croire être un singe. Ce château était à la fois architectural et organique. En effet, le côté extérieur de la sculpture représentait la façade du château, déformée et gondolée, tandis que le côté intérieur était couvert de gouttes qui dégoulinaient. Le suintement du château m’avait été inspiré par les enluminures du Mortifiement de vaine plaisance, écrit par René d’Anjou en 1455, dans lesquelles on voit un cœur crucifié, tranché, transpercé, dont jaillissent des gouttes de sang. À la fin de cette première exposition, j’avais proposé au conservateur Aldo Bastié de reprendre cette œuvre et d’en faire le sujet unique d'une nouvelle exposition. Trois ans plus tard, c’est donc ce qu’il s’est produit. Nous sommes ainsi passés de La danse du château au Château cœur, en restant dans le registre de l’architecture organique. L'œuvre s’inscrivait en fin d’un parcours d’une exposition prêtée par le C.M.N., intitulée Si les châteaux m’étaient contés. Cette exposition portait sur l’évolution de la représentation du château dans la littérature, le cinéma, la bande dessinée... C’était une exposition très grand public, avec des jouets, des maquettes... Mon œuvre se raccordait donc parfaitement au thème. Pour préparer cette exposition, je me suis beaucoup documenté. J’ai relu et revu des incontournables du sujet, en particulier des dessins animés. L'histoire du Mortifiement de vaine plaisance m’a semblé particulièrement centrale, mais j’ai cherché immédiatement à prendre mes distances avec elle. Je me suis dit que ce livre avait été écrit au Moyen Âge, dans une société dans laquelle la religion et la morale chrétienne avaient un poids important. Je n’avais pas envie de m’insérer dans cet univers-là. Par conséquent, j’ai décidé de rajouter un autre conte, Le singe pèlerin, qui me permettrait d’intégrer des singes dans mon installation et de raconter la même histoire, mais sur une autre tonalité. Toutes les histoires de contes de fées nous montrent la construction d’un personnage dans le temps, sur le mode initiatique. J’ai cherché à exploiter cela, mais en dehors du poids d’une certaine représentation religieuse héritée du Moyen Âge. Cela a été ma distance avec le thème et le contexte de cette exposition.




En étant trop exigeant sur la pertinence ou la rigueur historique, on risque de passer à côté de ce qui est vraiment important... Sans liberté, il n’y a pas d’art.


G.B. : Toutes les œuvres exposées ont-elles été conçues spécifiquement pour ces expositions ?


M.F. : Il y avait dans le parcours de l’exposition Si les châteaux m’étaient contés quelques œuvres réalisées en amont du projet. On trouvait ainsi un casque exposé dans le jardin du château, qui avait également été exposé devant le pont du Gard. Le conservateur souhaitait avoir cette œuvre dans l’exposition, sans qu’elle ait nécessairement de lien très fort avec celle- ci. L’aspect monumental de cet objet avait toutefois une dimension intéressante, puisqu’on pouvait connecter cela à l’enfance, et donc à l’univers du conte. Il y avait également un personnage présent à côté du Château cœur, représentant un singe à corps d’homme, avec les jambes écartées. Je l’ai placé ici car il représente en quelque sorte le personnage du singe pèlerin, avec son côté impudique, mais aussi sage. En relisant La psychanalyse des contes de fées, je me suis dit que la place de la sexualité dans les contes était tellement centrale qu’il fallait y faire référence dans ma proposition. D’où la dimension impudique du singe. En outre, il me semble que le singe ne doit pas être un personnage politiquement correct. On peut reprocher à la société humaine d’étouffer les émotions et la sensibilité. Je pense qu’en tant qu’artistes, notre rôle est de leur redonner leur place.



G.B. : Entreteniez-vous une relation particulière avec ce château avant d’y avoir exposé ?

M.F. : Non, j’ai découvert ce lieu à l’occasion des projets que j’y ai réalisés.



G.B. : L’écrivain Pierre Senges a souligné l’importance du ludisme dans le rapport que les créateurs doivent entretenir lorsqu’ils se confrontent au patrimoine. C’est quelque chose qui se ressent beaucoup dans votre travail…


M.F. : Un artiste du nom de Richard Jackson est connu pour réaliser des personnages pissant de la peinture. Dans l’une de ses expositions, un chien monumental levait la patte et urinait carrément sur un bâtiment. En termes d’ironie, je suis donc loin d’être le plus engagé, même si c’est effectivement l’un des aspects de mon travail. De mon point de vue, l’humour est quelque chose de nécessaire dans un travail artistique. Nécessaire mais pas toujours suffisant, car il doit contenir aussi beaucoup d’autres choses. Selon moi, le plus important est la capacité à interpeller. Dans le cadre d’un monument historique, je pense qu’il faut également une certaine profondeur dans la compréhension du lieu. C’est pour cela que dans l’exposition Bêtes, monstres et bestioles, le château avait aussi une face dégoulinante. Je voulais en effet que quelque chose nous ramène à René, qui n’a finalement pas une vision de la vie très joyeuse...



G.B. : L’aspect ludique n’est-il pas aussi une façon de désamorcer l’hostilité des gens face à l’art contemporain dans les monuments historiques ?

M.F. : C’est possible, mais ce n’est pas du tout mon intention, car je n’essaie pas de plaire. Il est vrai que les réactions peuvent être assez négatives, et je peux vous citer quelques anecdotes allant dans ce sens. Une œuvre intitulée Le temps des mouches, constituée d’un grand voile rempli de ces insectes, avait été montrée pour l’exposition Bêtes Off à la Conciergerie de Paris. Je me souviens, lors d’une visite de cette exposition, avoir assisté à une scène d’insulte envers l’artiste, qui était par hasard présent. C’était assez violent. J’avais moi-même exposé dans le jardin de l’hôtel de Sade une termitière géante, et je me rappelle d’un visiteur qui avait fait le tour du jardin sans jamais regarder la sculpture, comme s’il n’y avait rien. Il a ensuite discuté avec moi, et m’a très rapidement confié son dégoût de l’art contemporain. Le problème des expositions dans les lieux de patrimoine est que les visiteurs viennent en général voir ces lieux pour eux-mêmes, et non les expositions qu’ils contiennent. On ne sait pas vraiment pour qui on fait ces expositions, de toute manière. En tout cas, je ne rabaisse jamais le niveau de ce que je fais. Je considère par ailleurs que lorsque l’on est dans le cadre d’une exposition temporaire, on a une liberté d’expression presque totale. C’est pour cela que sur la forme, je trouve que les gens qui s’attaquent aux expositions qui ont lieu à Versailles sont illégitimes. Cela dit, je ne dis pas que celles-ci sont toujours de qualité, sur le fond. Mais en ce qui me concerne, dans l’ensemble, j’ai toujours eu des bons échos sur mes expositions. C’est peut-être parce que je travaille toujours à partir du contexte. Il y a en effet une pertinence et un sens particulier dans mes œuvres, lorsqu’elles sont exposées dans des monuments historiques.


Un grand merci à Matthieu Faury pour cet entretien.


G.B.

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