Quelques mois seulement après son ouverture au public, le Collège des Bernardins accueillit l’une des propositions plastiques les plus pertinentes de sa programmation contemporaine. Sobrement intitulée Cellula, cette installation est le fruit du travail de Nathalie Brevet et Hughes Rochette, un duo de jeunes artistes français, respectivement issus de l'univers du graphisme et de la sociologie. Leur geste était structuré autour d’une relecture critique de l’histoire du Collège, dont ils entendaient renouveler l’expérience sensible. Voici un petit retour sur ce travail intéressant à plus d’un titre, qui questionne habilement les notions de patrimoine, d’Histoire et d’authenticité.

G.B. : En quoi consiste votre travail ?
N.B. : Notre production est protéiforme. Chaque œuvre découle toujours d’une rencontre avec un projet et un lieu. Toute une partie de notre travail s’intéresse à l’objet, la sculpture, en partant d’éléments existants transformés ou détournés. Par ailleurs, nous menons tout un travail autour du lieu, en général sous forme d’installations in situ, dans le cadre de centres d’art, de commandes publiques ou de collaborations avec des architectes. Le rapport au lieu, à l’espace, au cheminement, à l’expérience vécue par le visiteur, est central dans nos installations.
G.B. : D’où vient votre attachement à l’installation in situ ? Quel intérêt y voyez-vous ?
N.B. : C’est toujours une question de projet. La rencontre que l’on a avec les lieux dans lesquels nous intervenons n’est pas très éloignée, en termes de démarche, de notre travail sur l’objet. Un objet raconte, et laisse raconter des histoires, exactement comme un lieu. Je ne saurais pas dire si je préfère l’une ou l’autre de ces démarches.
H.R. : Je dirais que c’est très lié aux opportunités que nous avons pu avoir. Au début de notre histoire, nous avons eu effectivement un attrait prononcé envers l’installation. Nous avions par exemple conçu un projet sous forme d’étapes, que nous avions finalement déroulé sur deux ou trois ans, principalement dans des institutions ou des musées. Suite à l’ouverture du centre d’art de Chelles, le directeur, ayant suivi notre projet, nous a proposé d’investir ce lieu pour y proposer un geste accompagnant son état de transformation. Il fallait avoir une relecture de cet espace à proposer au public, qui allait le fréquenter différemment suite à sa réhabilitation. Cet exercice assez fascinant a été notre première véritable installation in situ, découlant d’un projet intégralement écrit et construit spécifiquement pour ce site.
G.B. : Comment le projet du Collège des Bernardins s’est-il présenté à vous ?
H.R. : Ça a été, comme souvent, une invitation. Le Collège des Bernardins était en train de mettre en place sa programmation culturelle. D’après ce dont je me souviens, il existait à l’époque une commission décidant de la programmation, dans laquelle figurait le père Michel Brière, un prêtre consacrant au sein de l’Église une grande partie de son activité à l’art contemporain. Comme il connaissait notre travail, je pense que c’est lui qui a suggéré nos noms. Nous avions accepté à condition d’avoir carte blanche, ce qui nous a été accordé.
G.B. : Quelle a été votre première impression sur place ?
H.R. : Nous avons eu la chance de voir le lieu en chantier, avant de partir en résidence au Brésil. À notre retour, nous avons découvert la rénovation, qui nous a beaucoup déçus, il faut le dire. Dans son aspect dépouillé, le lieu était vraiment magnifique, et il a été transformé en quelque chose de très aseptisé. Les fenêtres sont épaisses, cernées de baguettes noires semblables à des ouvertures coupe-feu, la librairie est semblable à une boutique Relay, le guichet du réfectoire évoque celui d’un hall de gare (rire)... Ayant connu le lieu sans ces éléments, nous avons forcément été frappé par ce qui y a été aménagé. Je crois que le pire a été de découvrir les immenses lustres noirs en halogènes, qui pendaient aux croisées de la sacristie : une horreur absolue. Nous les avons immédiatement fait décrocher, ce qui nous a valu d’être en froid avec l’architecte Jean-Michel Wilmotte, qui en était à l’origine. J’ai appris par la suite que Jean de Loisy les avait fait décrocher définitivement, en prenant pour prétexte notre exposition. Les câbles du lustre n’étaient pas rétractables, nous avons donc dû nous accommoder de leur présence dans l’installation...
“ La rénovation du collège nous a beaucoup déçue, il faut le dire. Dans son aspect dépouillé, le lieu était vraiment magnifique, et il a été transformé en quelque chose de très aseptisé.“
G.B. : Quelle a été votre démarche de travail aux Bernardins ?
H.R. : Nous avons suivi notre démarche habituelle lorsque nous investissons un lieu. Nous sommes donc allés le visiter, avons appris à connaître son passé, relevé ses spécificités architecturales, glané toutes les anecdotes et les histoires qui font ce lieu... En général, à partir de cela, nous puisons quelques éléments nous permettant de tisser des liens, par un jeu d’analogie, entre nos propres expériences et le lieu lui-même. Il y a comme un jeu de réminiscences qui s’opère, ce qui nous permet de mettre en relation les éléments nous servant à construire notre projet. Nous travaillons aussi de façon ludique, car nous considérons l’art comme un jeu. Le hasard a toute sa place dans notre processus de création.
G.B. : À quoi renvoie le titre Cellula ?
H.R. : Aux Bernardins, le bâtiment a été soi-disant rénové pour retrouver son aspect originel du Moyen Âge. On a ainsi totalement fait fi de siècles entiers d’occupation, et en particulier des cent cinquante ans qui ont suivi le départ des moines. Le Collège a été une prison, et cette notion nous a intéressé immédiatement. Par ailleurs, la sacristie a été très vite occupée par des planchers, il y avait donc dans cet espace des étages. On y trouvait en particulier des espaces de dortoirs. Nous avons développé une réflexion autour de la cellule : d’abord la cellule du moine, puis la cellule carcérale, et enfin la cellule biologique. L’espace inférieur évoquait un univers carcéral, tandis que l’espace supérieur était semblable, de par son dépouillement à une cellule monastique, propice à la méditation. On y retrouvait le dessin octogonal de la membrane d’un noyau ADN, renvoyant à la cellule biologique. En effet, le sursol était une empreinte du sol que nous avions mis en élévation. Comme la base des colonnes de la sacristie était naturellement plus large que la colonne elle-même, nous avions un vide d’une quinzaine de centimètres entre les colonnes et le sursol. La base des colonnes étant octogonale, on avait donc dans ces espaces vides le dessin octogonal que nous avons repris avec les tubes fluorescents.
“ Nous avons développé une réflexion autour de la cellule : d’abord la cellule du moine, puis la cellule carcérale, et enfin la cellule biologique.“
G.B. : La « cellule biologique », évoque un monde organique, vivant. Avez-vous eu à cœur de « donner vie » à cet espace, au sens biologique de l’expression ?
H.R. : Je ne l’aborderais pas véritablement de cette façon. Cette dimension-là serait plutôt incarnée par l’expérience que nous faisions vivre au visiteur par le corps. Notre but était que les personnes vivent, ressentent, perçoivent ce lieu d’une nouvelle manière. Cette notion de « membrane biologique » était peut-être plutôt un prétexte à la forme, puisqu’il nous fallait un élément pour jouer avec nos dix-huit tubes lumineux. La dimension vivante renvoyait en tout cas plutôt au moment de vie expérimenté chez le visiteur. Je ne sais pas s’il aurait été pertinent de faire résonner le lieu en tant qu’espace vivant. En tout cas je ne crois pas que cela ait été notre démarche.
N.B. : Je suis assez d’accord avec Hughes. Ce qui nous intéresse n’est pas tellement de « donner vie » à un lieu mais de le parcourir et d’y établir un rapport au présent par le biais de l’installation.
G.B. : Je n’ai pas eu la chance de voir cette installation de mes propres yeux, pourriez- vous me la décrire ?
H.R. : Nous voulions arriver, à partir de la nef, dans un lieu sinueux et sombre. On montait ensuite par un escalier jusqu’à un niveau de plancher rappelant toutes ces différentes occupations dans le temps. Le plancher était supporté par une structure en échafaudage, permettant au visiteur d’atteindre une hauteur inédite. Nous travaillons beaucoup avec les matériaux de chantier, avec tout ce qui est lié à l’occupation temporaire d’un lieu, ce qui nous permet d’accentuer d’autant plus l’idée de l’éphémère. Cette structure en échafaudage, qui évoquait ici l’univers carcéral, n’est normalement jamais montée de la sorte, puisqu’elle est sensée être reliée au mur. Évidemment, c’était impossible dans un monument historique, et comme l’impression d’instabilité nous semblait intéressante en elle-même, nous avons décidé de laisser ce plancher légèrement flottant. Nous étions donc à quatre mètres de haut, à une hauteur improbable et sur un sol en mouvement. On arrivait ensuite dans un espace totalement illuminé par des tubes fluorescents, s’allumant grâce à un système de détecteur inversé (la structure s’éteignait lorsque quelqu’un se déplaçait dans l’espace). Une fois le visiteur immobile, la lumière illuminait à nouveau progressivement tout le décor cistercien de la sacristie. La structure en tube reprenait le dessin de la membrane d’un noyau ADN, s’étendant à l’infini. L’installation en elle-même était bien sûr très significative dans son organisation. En effet, on partait d’un espace sombre pour arriver vers la lumière, dans un rapport d’élévation du corps. Cette montée vers la lumière nous permettait de faire vivre une véritable expérience sensorielle au visiteur.
“ L’installation en elle-même était bien sûr très significative dans son organisation : on partait d’un espace sombre pour arriver vers la lumière, dans un rapport d’élévation du corps.“
G.B. : Le choix de diviser l’espace de la sacristie était très audacieux, quel sens lui avez- vous donné ?
H.R. : Le sursol est une référence à l’histoire même de la sacristie. Il évoque le passage du temps, et les stratifications qui en découlent. La rue de Poissy est très élevée par rapport à la nef, et plus encore par rapport à la sacristie. Pourtant, à un moment donné, la sacristie a été de plain-pied par rapport au niveau du sol. Nous avions aussi découvert que le cellier avait été comblé de terre pour éviter un effondrement de l’édifice. Toute cette histoire de strates temporelles et géologiques, révélatrices de l’histoire et de la topographie du lieu, nous a énormément intéressés. Le niveau du plancher était bien sûr improbable, puisque nous souhaitions profiter de la liberté permise par le caractère éphémère de l’installation. Nous avons volontairement coupé les portes et fenêtres, de manière à créer quelque chose paraissant illogique, et suscitant la curiosité. Depuis la rue, on pouvait voir les pieds des gens circulant dans l’installation, et on distinguait la partie inférieure sombre, contrastant avec l’éclairage de la partie supérieure.
N.B. : Le sursol permettait aussi de jouer sur l’intérieur et l’extérieur du bâtiment lui-même. Grâce à lui, nous avions remis à niveau l’ancienne sacristie avec l’espace public.
H.R. : C’est effectivement un point important qu’évoque ici Nathalie : dans nos installations, nous jouons presque systématiquement sur le lien entre l’intérieur et l’extérieur. Le visiteur de l’installation avait une position légèrement dominante par rapport à la rue, si bien que les deux espaces étaient en relation directe. Par ailleurs, fait intéressant, la rue se reflétait dans les fenêtres, au niveau des pieds du visiteur. Il y a avait donc une confusion assez frappante entre ces deux espaces. Comme la structure s’allumait par défaut, et s’éteignait lorsqu’il y avait du mouvement, elle était allumée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Par conséquent, même en pleine nuit, cet espace était donné à voir aux passants depuis la rue, de façon assez insolite. La lumière donnait l’impression qu’une présence y évoluait... J’ai d’ailleurs le souvenir — bien que j’aie quelques doutes sur sa véracité — que l’on m’a raconté que la lumière s’éteignait parfois, comme si quelqu'un y déambulait effectivement (rire) !
G.B. : N’était-ce pas un peu provoquant de rétablir cet entresol justement supprimé au cours de la restauration, qui était alors très récente ?
H.R. : Cette provocation était complètement volontaire ! Cela entre d’ailleurs en résonance avec la proposition de Parmiggiani, qui avait recloisonné la nef par des parois de verre brisé, évoquant l’organisation de l’espace à l’époque médiévale... Lorsque nous sommes rentrés dans la sacristie, elle était encore étagée. Quand nous l’avons découverte restaurée, cette nouvelle volumétrie verticale nous a complètement perturbés. Nous avions eu la chance de la voir dans un état antérieur gardant la trace des occupations plus récentes, et d’admirer de près les chapiteaux et culots sculptés. C’était pour nous intéressant d’amener les gens vers une autre perception de ce lieu, que l’on nous avait donné à vide, en faisant fi de l’histoire. Comme c’était une occupation temporaire, nous avons joué sur l’idée de chantier. Évidemment, l’installation d’un échafaudage de chantier dans cet espace qui venait de se dépouiller de ses scories modernes était une provocation. Mais cela reflétait la gêne que nous avions éprouvée suite à la réhabilitation de cet espace, qui nous semble aujourd’hui encore très peu subtile.
“ Lorsque nous sommes rentrés dans la sacristie, elle était encore étagée. Quand nous l’avons découverte restaurée, cette nouvelle volumétrie verticale nous a complètement perturbés.“
G.B. : Vous avez évoqué le ludisme et le hasard, quel rôle ont-ils joué dans ce projet ?
H.R. : Tout cela est effectivement construit comme un jeu. Nous travaillons souvent sur la localisation, et y avons fait un petit clin d’œil dans cette installation. Nous étions au dix-huit rue de Poissy. Il s’avère qu’en démontant les lustres de la sacristie, nous nous sommes rendu compte qu’il restait dix-huit fils pendant du plafond. Nous nous sommes dit que c’était une sorte de signe, et que l’on devait jouer avec cela. Nous avons donc laissé volontairement ces câbles, en les recourbant de manière à créer une tension dans l’espace, puisqu’ils étaient vraiment à portée de main. En guise de contrepied, nous avons décidé de créer une structure de lumière partant du sol. Pour réaliser cette structure, nous avons décidé de dessiner cette fameuse membrane, à partir de dix-huit tubes fluorescents. Ce jeu s’est complété, sur la façade, d’un élément d’appel, qui a pris la forme du numéro dix-huit, basculé à 90 degrés. Le dix-huit se transformait ainsi en infini souligné, ce qui évoquait l’ouverture de la membrane lumineuse, se déployant à l’infini. Tout ce jeu interrogeait à la fois l’aspect réflexif et carcéral du lieu.
G.B. : Qu’en a-t-il été de la réception de cette exposition ?
H.R. : Comme le lieu venait d’ouvrir, le public était lui aussi tout nouveau. Je garderai un souvenir assez fou des réactions des gens, absolument passionnelles. L’installation a duré cinq mois, ce qui est plutôt long. Nous n’avions pas pu vivre l’expérience de l’exposition de Parmiggiani, mais on nous a dit que les réactions avaient été tout aussi violentes. Nous avons eu un peu le sentiment d’être livrés à la foule des visiteurs. Comme le lieu venait d’ouvrir, il était fréquenté par un public absolument considérable, ce qui nous a beaucoup surpris. Je crois qu’il y avait en moyenne trois mille visiteurs par semaine qui entraient dans le Collège, pour donner un ordre d’idées. Tout centre d’art rêverait d’avoir un public pareil ! Toutefois, une énorme partie de ce public ne venait pas nécessairement à la rencontre de l’exposition. Ces gens avaient clairement l’impression de se voir imposer une proposition artistique dans un espace qu’ils auraient souhaité découvrir neutre. Cela ne veut pas dire que tout le monde a été réfractaire, bien sûr. Je me souviens que certaines personnes nous laissaient toutes les semaines des petits poèmes élogieux dans les présentoirs, écrits à notre intention. C’était assez perturbant. Il y avait aussi une femme qui venait s’asseoir toujours au même endroit, en face de la structure lumineuse, et se mettait en méditation pendant une demi-heure, chose totalement inimaginable dans une exposition traditionnelle. Une autre femme s’est littéralement effondrée en larmes lorsque la structure s’est allumée, comme face à une sorte de révélation divine... Ce sont des comportements très extrêmes et assez déroutants, que nous ne pensions pas susciter. À l’inverse, on a eu aussi des gens âgés qui se sont organisés en clans pour venir vandaliser la pièce. Comme par hasard, j’étais présent ce jour-là, et je les ai donc vus écraser les tubes lumineux positionnés sur le sol. C’était complètement hallucinant. Heureusement, nous avons eu aussi tout un public de gens beaucoup plus modéré, qui n’avaient pas spécialement de liens avec l’art contemporain mais ont apprécié notre geste, qui leur est simplement apparu comme très beau et faisant sens dans ce lieu. Il y avait aussi toute la curiosité d’un public habitué de l’art contemporain, qui découvrait un nouveau lieu d’exposition. Cela donnait au final un public très disparate, avec des réactions très contrastées.
“ Je garderai un souvenir assez fou des réactions des gens, absolument passionnelles. Nous avons eu un peu le sentiment d’être livrés à la foule des visiteurs. “
G.B. : Avez-vous eu des contraintes spécifiques au monument historique à gérer ?
H.R. : Nous avons effectivement eu pas mal de contraintes dues à notre intervention. Toutefois, comme le lieu venait d’ouvrir, nous avons pu assez aisément les contourner en argumentant un peu. Ces contraintes ont été stimulantes, dans un sens. Par exemple, il ne fallait pas prendre appui sur les murs, ce qui nous a poussé à concevoir une structure autoportante. Cette contrainte originelle nous a permis d’affiner notre geste artistique, en concevant une structure beaucoup plus densifiée, dans laquelle on circulait comme dans un dédale, dans une ambiance carcérale. Et surtout, l’ensemble de l’installation a acquis une instabilité tout à fait intéressante.
N.B. : La contrainte est un moteur essentiel dans chaque projet !
G.B. : Vous vous êtes totalement approprié l’espace qui vous a été confié, tandis que certains artistes cherchent plutôt à s’effacer, à laisser apparaître le lieu dans lequel ils exposent... Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de cela ?
N.B. : Ce qui nous intéressait était vraiment de donner à voir le lieu. De permettre d’accéder à cette partie haute de l’architecture, qui n’est pas faite pour être vue du visiteur. Le sursol permettait une proximité inatteignable hors exposition. Cette installation était temporaire, il faut le garder à l’esprit car cela permet de relativiser. Chaque proposition est différente, et même si l’une peut être vécue par certains comme une occultation du lieu, ça reste une expérience qui n’est pas définitive.
H.R. : Ce qui guide nos interventions, c’est de donner à faire vivre ce que nous percevons nous-mêmes. Notre positionnement n’a été en aucun cas de prendre possession du lieu en le faisant disparaître, mais au contraire de le révéler. À travers ce geste, nous rappelions d’une part ses différentes occupations, et nous amenions le regard vers des parties nouvelles de l’architecture. Par ailleurs, si nous ne répondons pas à ce type de commande comme peuvent le faire les artistes en général, j’en suis plus que ravi ! Je n’ai en aucune façon l’intention de faire des gestes cherchant à se fondre dans un lieu.
“ Notre positionnement n’a été en aucun cas de prendre possession du lieu en le faisant disparaître, mais au contraire de le révéler. À travers ce geste, nous rappelions d’une part ses différentes occupations, et nous amenions le regard vers des parties nouvelles de l’architecture.“
G.B. : Selon-vous, on peut donc « tout exposer » au sein des monuments historiques?
H.R. : Tout exposer, je ne sais pas, mais de là à définir des règles précises... Je ne suis pas sûr, par ailleurs, que le monument historique soit le lieu idéal pour présenter des œuvres contemporaines, tout simplement parce qu’elles n’ont souvent aucune interaction avec le lieu, et parce que les gens ne viennent en général pas y voir ce type d’œuvre. Par contre, à partir du moment où c’est le cas, je ne vois aucune raison d’y mettre de restriction. À titre personnel, je trouve beaucoup plus intéressant qu’il y ait un lien entre l’œuvre et le lieu. Cela dit, il y a sûrement des œuvres déjà existantes qui peuvent se mettre très fortement en interaction avec le lieu qui l’accueille.
G.B. : Pensez-vous que l’art contemporain puisse apporter quelque chose à un lieu tel que le Collège des Bernardins ? À l’inverse, qu’est-ce que ce type de lieu vous apporte, en tant qu’artistes ?
H.R. : C’est une chance et un privilège d’avoir à investir des monuments d’une telle richesse. Ce type d’expérience nous apporte forcément des choses intéressantes : il s’agit de réfléchir un site tout en questionnant son histoire, en cherchant les spécificités de son architecture... Cela nous apprend beaucoup. À l’inverse, je pense que c’est toujours bon de redonner une fonction à ces lieux, qu’elle soit culturelle ou toute autre. Malgré cela, je trouve que le vide restera toujours très intéressant en soi.
N.B. : Cette question dépasse même le champ de l’art contemporain, puisque ces lieux peuvent aussi s’ouvrir à beaucoup d’autres usages. Ces bâtiments ont été ouverts à la culture, mais ils pourraient aussi l’être à autre chose. Pourquoi pas des espaces de travail ou d’hébergement si les lieux s’y prêtent, ou encore des occupations temporaires pour répondre aux divers besoins de la société... Une fois rénovés en tant que monuments historiques, on constate malheureusement que ce type d’usage est difficilement accepté.
H.R. : La sacristie pourrait être une salle de shoot !
N.B. : En soi, pourquoi pas (rire) ! Quand on reprend l’histoire de ces lieux, ils ont été ouverts à des utilisations très diverses, et cela ne serait pas forcément les trahir que de les réaffecter. On a aujourd’hui l’impression qu’ils doivent être nécessairement figés de façon à respecter religieusement leur architecture et leur histoire, mais en vérité, ces édifices ont montré qu’ils pouvaient aussi répondre à d’autres usages.
H.B. : Cette idée est d’ailleurs au cœur même de notre geste au Collège des Bernardins. Nous n’étions pas forcément intéressés par la rénovation du Collège, mais par ce qui s’y était déroulé avant, par ses différentes occupations. C’est un travail sur « l’espace entre ».
Un immense merci aux artistes pour cet entretien passionnant.
G.B.
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