L’une des institutions culturelles les plus importantes de Oaxaca est hébergée par le plus grand — et sans doute le plus beau — de ses couvents. Dominée par la silhouette d’une imposante église, la place de l’ancien couvent est un repère incontournable de l’urbanisme oaxaqueño. Ici, les touristes déambulent, les jeunes diplômés se font photographier, quelques mariés privilégiés viennent se dire oui sous les ors de l’église Santo Domingo. On prend le frais à l’ombre des huajes ou auprès des fontaines, on admire le coucher du soleil, faisant chaque soir vibrer les pierres de cette place minérale… Et si l’on est curieux, on passe les portes du somptueux centre culturel Santo Domingo, installé dans les anciens bâtiments conventuels.

Érigé entre le milieu du XVIe et le début du XVIIe siècle, le couvent reflète par sa splendeur architecturale la puissance de l’Ordre Dominicain, qui multiplia ses fondations dans tout l’état de Oaxaca. Chargé d’évangéliser la région par Hernan Cortès, ceux-ci arrivent à Oaxaca en 1529 et s’installent dans un premier couvent, érigé au sud de la ville. Entamés dès 1575, les travaux de construction ne sont pas achevés lorsque viennent y habiter les frères en 1608, suite à la destruction de leur première fondation par un séisme. Rapidement devenu l’un des principaux centres de l’action évangélisatrice de l’Ordre, le couvent restera en activité jusqu’en 1859. Il est par la suite occupé par les forces armées et la cavalerie, qui y érigèrent une caserne attenante à l’église en 1902. Il faudra attendre jusqu’en 1938 pour que l’ensemble des bâtiments conventuels repasse aux mains de l’église. De premières restaurations sont menées trente ans plus tard, à la demande du Secrétariat du Patrimoine National. En 1972, sous l’impulsion de l’artiste Francisco Toledo, naît le projet du musée des cultures de Oaxaca, lui assurant une première réhabilitation.
Une importante campagne de restauration est menée à partir de 1994, sous l’égide du Conseil National pour la Culture et les Arts, appuyé par l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire, le Gouvernement de l’État de Oaxaca et le Fomento Social Banamex. Cette ambitieuse restauration se double d’un projet de réhabilitation complète des espaces conventuels, accueillant depuis 1998 le centre culturel Santo Domingo. Déployé dans la majeure partie du couvent, un intéressant musée offre un panorama archéologique, historique et ethnographique très complet sur les cultures de Oaxaca, envisagées dans toute leur diversité. Sur l’ancien domaine conventuel fut également planté un magnifique jardin ethno-botanique, conservant la mémoire des passionnantes interactions de l’homme avec son environnement naturel. L’ancienne caserne de cavalerie abrite quant à elle l’hémérothèque Nestor Sanchez qui constitue, avec la bibliothèque Fray Francisco de Burgoa, les derniers organes de cet important complexe culturel et patrimonial.
La visite du centre culturel Santo Domingo s’impose pour quiconque s’intéresse de près ou de loin à l’histoire, à la culture et au patrimoine de Oaxaca, tant celui-ci en offre un panorama incroyablement riche et concentré. Étalés sur une superficie considérable de près de 40 000 m2, la découverte complète des lieux requiert plusieurs heures d’exploration, ce qui est plutôt inhabituel dans cette ville où les centres culturels sont tous de taille relativement modeste. Mais il serait bien dommage de se décourager pour si peu — et après tout, le Louvre n’est il pas deux fois plus immense ? En lui-même, le couvent est une véritable merveille architecturale, ce qui en justifie déjà largement la visite. Avec ses quatre cloîtres majestueux, ses loggias et ses salles voûtées, ses nombreux décors peints ou dorés à l’or fin, il constitue sans aucun doute le plus bel exemple d’architecture dominicaine de toute la région. Sa splendeur est d’ailleurs telle que l’on en vient forcément à se demander comment cet Ordre, supposément mendiant, pouvait faire ériger des lieux aussi somptueux…
Au fil des salles du musée se déploient œuvres d’arts, objets d’artisanat et documents iconographiques, plongeant le visiteur dans un voyage allant de la préhistoire à l’époque contemporaine. Au titre des merveilles que l’on peut y admirer, on remarque notamment le somptueux trésor de la tombe n°7 de Monte Alban, dont un impressionnant crâne faïencé constitue la pièce maîtresse. À bien des égards, ce musée constitue l’une des institutions culturelles les plus importantes de la ville, tant par la richesse de ses collections que par l’importance de ses missions, au premier rang desquelles figurent la préservation et la mise en valeur des cultures de Oaxaca. On comprend donc assez bien l’importance symbolique de ce lieu, aussi central dans l’urbanisme de la ville que dans l’identité de ses habitants. Fait notable, son accès est gratuit chaque dimanche pour tous les Mexicains (et résidents temporaires, eheh !), ce qui offre donc à tous la possibilité de jouir librement de ses espaces frais, et permet de se replonger longuement dans l’histoire de Oaxaca.
La visite du musée offre également de somptueux panoramas sur le jardin ethno-botanique, apparaissant comme une toile vivante dans l’encadrement des fenêtres ou entre les arches des loggias. Bien que moins marquées qu’en Europe, les saisons existent bel et bien au Mexique et la végétation change elle aussi. Au fil des mois, la géométrie des cactées évolue sensiblement, les frangipaniers perdent leurs feuilles puis croulent sous les fleurs… C’est un spectacle subtil, sublimé par le chant d’innombrables oiseaux auxquels se joint, l’été venu, celui des cigales. Il faut toutefois ressortir du musée et prendre part à l’une des visites guidées quotidiennes, pour découvrir pleinement les merveilles de ce jardin. Considéré comme l’État le plus riche du Mexique en biodiversité animale et végétale, Oaxaca concentre non moins de 10 000 espèces de plantes, dont près d’un millier sont présentes au sein du jardin. Celui-ci est planté en fonction des cinq climats existants dans les différentes régions de l’État, dont la diversité est propre à générer une exceptionnelle richesse biologique. L’une des particularités principales de ce jardin est d’être ethno-botanique, autrement dit, de s’axer avant tout sur la relation des plantes à l’histoire de ses usages et de ses symboliques dans la société humaine. La découverte du jardin offre ainsi un passionnant contrepoint au musée des cultures, à ne manquer sous aucun prétexte.
Si le centre culturel Santo Domingo a suscité mon intérêt immédiat, c’est bien sûr pour sa splendeur architecturale, mais aussi pour la qualité de sa réhabilitation contemporaine. En récompense pour son ambitieuse restauration et reconversion culturelle, celui-ci a d’ailleurs reçu en 2001 le premier prix international Reina Sofia, récompensant l’excellence de projets de réhabilitation patrimoniale. Le musée respecte complètement la physionomie des espaces conventuels, et très peu de choix contemporains ont été effectués dans l’aménagement des lieux. En revanche, le centre culturel dispose d’une programmation artistique tout à fait actuelle et de très bonne qualité, proposant régulièrement expositions, concerts et autres évènements, souvent organisés en partenariat avec les autres institutions culturelles de la ville. Il y a presque toujours une exposition d’art contemporain en cours, présentée dans des salles conçues à cet effet ou, plus ponctuellement, dans les espaces mêmes du couvent. Le résultat, pour ce que j’en ai vu, était toujours d’une extrême pertinence, tant par la qualité des propositions que par la délicatesse de leur mise en espace, dialoguant toujours judicieusement avec l’architecture. Un monument splendide, un musée et un jardin passionnant, un dialogue constant entre l’Histoire, l’art et les savoirs de l’humanité… Voilà ce qui fait du centre culturel Santo Domingo un lieu exceptionnel, sans conteste l’un des meilleurs exemples de réhabilitation patrimoniale à Oaxaca.
G.B.
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